Docteur Maboul

 

C’est un endroit froid, glacé d’ennui, malgré les couleurs pastel de certains murs, des mauves roses vert pâle et bleu comme des plumes. Mais rien ne parvient jamais à faire oublier le gris du béton, le blanc de l’acier. Le silence des barreaux.

Tu marches dans les couloirs tête baissée, de temps en temps tu te heurtes à cette grille. Bzz Bzz. Après le léger bourdonnement électrique tu marches encore, puis une autre grille, un autre Bzz Bzz.

Ça te rappelle le docteur Maboul quand on touche les bords, quand on perd.

Tu as perdu. Perdu une fois de plus et maintenant tu es en prison. En taule a dit ton père les yeux pleins de larme. « Mon fils en taule. » Il chialait le vieux, il chialait comme tu ne l’avais jamais vu. C’est plutôt un dur à cuire, un gars qui a fait des chantiers, qui s’est bagarré avec les condés dans des manifs un peu dures, avec un cœur tatoué à l’encre de Chine bleue délavée sur le torse. Mais là, il n’en pouvait plus de tristesse. Qu’est-ce qu’il pouvait imaginer dans sa tête ? Quelles souffrances, quel ennui ? Ça t’a fait chier de le voir ainsi, de pas oser le prendre dans tes bras pour le consoler. Mais ça ne se fait pas chez toi. C’est la mère qui fait les câlins, pas le père.

Mais ta mère n’est plus là. Elle est morte il y a dix ans. Bêtement. D’un cancer. Bêtement. De pas trop pouvoir se soigner. Ça t’a détruit en-dedans, ruiné, bousillé, flingué. Tu te sens vide, un immense champ de ruines.

Tu ne le dis pas, tu ne voulais pas le dire même à la psy que tu voyais avant de faire la trop grosse connerie. Avant que tu ne sois dans les couloirs pastel. Avant que tu ne sois réduit à attendre le Bzz Bzz d’une porte électronique avec un surveillant à ta gauche. Un gars massif, pas toujours le même. Un gars que tu appelles Chef, Surveillant, Monsieur. Un gars que tu essayes de respecter, mais qu’au fond de toi tu méprises. Et qui souvent te méprise tout autant. La prison n’apprend pas grand-chose, et certainement pas le respect, tu l’as vite compris. Elle apprend la crainte, la bassesse, les compromis et la haine. Mais tu sais aussi que c’est bien fait pour ta gueule. On ne joue pas avec le feu si on a peur de se brûler.

Tu voudrais être dehors, tu voudrais en permanence être dehors ; tu en crèves. Il te reste pourtant encore de longues années. Trop pour quelqu’un de ton âge, de ta force, de ta vitalité. Trop…

Dernière grille. Bzz Bzz. Tu as touché le bord du Docteur Maboul une fois de trop. Autrefois, quand tu jouais, tu riais ; tu te souviens avoir été très fort à ce jeu. Tu battais tes copains, ton frère. Des après-midis dans la chaleur de la chambre. Vous aviez quoi ? Sept ans ? Huit ans ?

Qu’importe vous ne pensiez le monde que comme un immense jour de rires, de joies éphémères et essentielles. Qu’importe vous étiez le bonheur.

Tu vas entrer en cellule, t’allonger et écouter tes codétenus. Tu vas peut-être te rouler un joint pour essayer de t’endormir, pour essayer de moins penser.

Tu ne sais pas comment tu vas tenir pendant les milliers d’heures, de minutes, de secondes à venir. Chaque instant dure plus longtemps que le précédent.

Dehors, il y a tant de choses. Tout ce que tu regrettes.

La forêt et le parfum du bois coupé fraichement. Les filles et leurs rires clairs. Le ciel et trois oiseaux un peu noirs. Dehors, il y a la musique de la ville, aussi, la vie.

Ici il n’y a que des cris, des portes qui se ferment et le Bzz Bzz électronique incessant.

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