Et poursuivre ?
Il y avait le vent, les vagues et
le ciel immense.
Il y avait le soleil, les cris
des goélands et le sable sous ses mains.
Il y avait une enfant d’à peine
six ans assise à même la plage qui voulait construire le plus grand, le plus
beau de tous les châteaux de sable.
Emma ne savait pas pourquoi, mais
elle se sentait quand même un peu triste devant le tas de sable informe. Elle
n’y arrivait pas. Malgré le seau, la pelle, malgré sa bonne volonté, tout
s’effondrait trop vite, rien n’était assez solide. Pourtant, elle avait fait
comme disait papa : du sable, de l’eau, on tasse, on retourne, on tapote.
Mais non. Soit le sable s’écoulait en
une masse informe et trop liquide, soit le château tenait debout quelques
secondes, puis s’écroulait. C’est difficile des fois d’avoir six ans (zis zans
comme elle disait dans le zozotement de ses incisives légèrement écartées).
C’est difficile de ne pas arriver à faire un beau pâté de sable sur une immense
plage pleine de soleil.
Elle voyait Papa allongé sur sa
serviette. Il paraissait pensif. Papa, il réfléchissait beaucoup depuis quelques
temps. Depuis qu’avec Maman ils s’étaient chamaillés. C’est ça qu’ils lui
avaient dit un soir quand elle était rentée de l’école : « Emma, ma
chérie, Papa et Maman se sont chamaillés. Fort. Et Maman va aller vivre chez
Tata Marie pendant un moment. » Elle n’y avait accordé qu’une attention
distraite. Il faut dire qu’à l’école, aujourd’hui, elle et Lucas (« Lucas
et elle… » comme disait Mamie) avaient découvert que Marie et Tim étaient amoureux.
Et que derrière le buisson dans le coin de la cour, vers le marronnier, une
chatte avait fait une portée. Des choses très intéressantes. Plus que Papa et
Maman et leurs chamailleries. De toute façon, ils se chamaillaient déjà
beaucoup. C’était des trucs de grands auxquels elle ne comprenait pas
grand-chose. Parce que les grands avaient l’air de vouloir tout
compliquer. Toujours. Un peu comme le
Maître qui posait des questions bizarres des fois. Pour Emma, la vie ça devait
être quelque chose de simple. On se
lève, on mange des tartines, on boit un chocolat. On va à l’école. Des fois on
part en vacances. Si on est amoureux on le dit. On se fait un bisou sur la
joue, en secret. Et c’est tout. Rien d’autre qu’une infinité de jours qui se
ressemblent et dans lesquels on se sent bien. Et puis, Emma n’avait pas tout
bien compris. Quand elle se chamaillait, par exemple avec Laurine, elle partait
aussi, mais il suffisait qu’elle en parle à Mr Bunch, son doudou, et tout
allait mieux. Peut-être que c’est ce que devraient faire Papa et Maman. Elle
pouvait même prêter Mr Bunch. Des fois les adultes ça complique les choses.
Le château venait, une fois
encore, de s’affaisser. La fillette soupira. Regarda le ciel. Le petit nuage
là-bas dans un coin. Le vent faisait onduler ses cheveux frisés. Quand même, il
devait bien y avoir une solution ! Mettre plus d’eau ? Moins ?
Demander à Papa ?
Il y a toujours une solution
d’après Mamie. D’ailleurs c’est ce que disait Papa.
« Ta mère sait toujours
tout ! » il criait, fort. Et Maman devenait toute rouge, les mains
serrées.
Peut-être qu’elle devrait appeler
Mamie pour pouvoir poursuivre le château ? Elle, elle saurait.
« Papa ! On peut
téléphoner à Mamie ? Pour mon château ? » Le vent emporta un peu
plus loin le cri-rire de la petite fille.
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