Punk's not dead ?

 

« Allez les agités ! »

La voix du chanteur des Bérus tonne. Ça fait déjà un bon moment qu’on pogote comme des dingues. C’est le dernier, l’ultime concert du groupe. Y’en aura pas d’autres et demain nous serons tous un peu orphelins. Les grands frères raccrochent, se sabordent parce que c’est comme ça que ça doit se finir. Par une apothéose apocalyptique, par un show dont on se souviendra encore quand on sera vieux, usés, perclus de rhumatismes.

Je suis en nage, la colle à poisson de ma crête coule dans mes yeux, sur mon front. Je m’en fous, je pogote comme un damné. J’balance mes bras, mes jambes, je tournoie, je me jette, j’encaisse des coups, j’en donne, je suis projeté, je fais valdinguer. C’est primal, c’est bestial, c’est une danse du fond des âges.

« Petit agiiiité, tous des Béruriers ! »

Oui, en ce moment on est tous des Béruriers, on est mortels immortels. La vie ne pourra être que belle. La vie ce sera une éternité de fêtes, de concerts sauvages. Une éternité de morts aux flics, de jeunesse emmerde le Front National. Une éternité de danses païennes, d’espoirs insensés.

Non jamais on ne sera des employés, des petits fonctionnaires dans une ville de province qui pue l’ennui sclérosant. Se lever le matin, s’habiller et vite prendre le bus pour aller remplir des papiers, des formulaires à la con. Huit heures par jours cinq jours par semaine, avec la perspective des vacances d’été à Palavas ou à la Grande Motte. Tout mais pas ça. Tout mais pas devenir comme nos parents.

« Allez tous, tous, tous… agités ! »

Je me suis réveillé plus tard dans une pièce vide. Au plafond une ampoule nue. Une chaise, un matelas sur lequel gisent deux corps endormis.  Deux punks comme moi, deux kids ivres de liberté, de speed et de bière. Je ne me souviens plus de grand-chose après le concert. Une nuit néon, les amphètes qui font moins d’effet, l’alcool pour effacer la douleur lancinante de mon bras gonflé. Nous avons erré dans Paris immense, jamais je ne me suis senti aussi vivant, aussi invincible.

J’ai la gueule de bois. Quelle heure est-il ? Quel jour ? Où ? J’ai vaguement peur, je ne sais même pas pourquoi. Il va falloir rentrer dans cette ville de province minuscule. Il va falloir lutter encore contre les regards idiots sur mes cheveux bleus. Il va falloir, parfois, se battre parce que la différence : celle que les adultes craignent, que les ados moquent.

« Et le monde s’écroule… »

Trente ans ont passé. Un souffle, un éclat de temps. J’ai vieilli et perdu mes cheveux. J’ai vieilli et me suis aigri, enfermé dans ce travail qui ne m’a jamais plu. J’ai vieilli parce que je n’ai pas cru assez fort que je pouvais ne plus jamais quitter cette nuit de 1989. Nous étions combien ? Des centaines ? Des milliers ? Et tous nous avons rêvé d’immortalité sur le tempo saccadé d’une boîte à rythme.

Demain, je me lève et une dernière fois j’écouterai le vieux vinyle qui craque, la guitare aux trois accords. Demain je range tout à la cave. 

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