Sans adieux ?

Tu m’embrasses. Ta langue envahit ma bouche, s’empare de la mienne. Tu m’embrasses et je suis aux anges. C’est la première fois, pour moi. Je me sens comme un homme, enfin. J’ai eu un peu peur quand ton visage s’est approché du mien. Je doutais, je doutais tellement ! Je n’avais jamais embrassé une fille à quinze ans, jamais. Bien entendu j’affirmais haut et fort à mes potes que si, que j’avais déjà roulé des tas de pelles à des tas de nanas. En vacances. Dans des soirées. Ailleurs. Toujours ailleurs. Tu parles, nous étions les membres permanents du puceau club. Des mecs à peine pubères, mal dans leurs peaux acnéiques, désemparés par ce qui arrivait. Des losers sans grandeur. On en racontait pourtant tant et plus des histoires, cachant nos désarrois derrière des rires gras, des gestes obscènes. On tripotait des seins, des culs imaginaires devenant tellement réels au fur et à mesure que les esprits s’échauffaient, que les mensonges prenaient corps. 

Mais on ne savait rien. Rien d’autre que ce qu’on glanait dans des films pornos vus hâtivement. Ou peut-être que j’étais le seul. Celui à qui ce n’était pas arrivé, jamais. Celui qui n’osait pas parce qu’il ne comprenait pas, ne savait pas. Le type timide, sans courage, que les filles ne regardaient même pas. Il n’y avait tellement rien à voir de toute façon. L’apparence nous ancrait dans une réalité sclérosante. On était beau ou pas. On était visible ou pas. On était le mec qui embrassait. Ou pas.

Tu m’embrasses et ton haleine sent la bière et la réglisse. Nous avons pas mal bu, parce qu’il faut bien se donner du courage, parce qu’on transgresse pour se sentir un peu en vie. Mes mains caressent timidement ton dos, tes fesses et je bande. J’ai un peu honte de cette érection. Tu vas t’en apercevoir !  Je me tortille un peu pour la faire passer, mais rien n’y fait et je suis  trop ivre pour y accorder beaucoup d’importance. Ivre d’alcool, ivre de joie, ivre de fierté stupide.

Tu m’embrasses et ça dure des heures, des jours. C’est mon premier baiser. Je suis un homme, tu ne crois pas ? Demain tu en embrasseras peut-être un autre, dans une autre soirée. Ou après-demain. Je ne sais pas, parce que je ne sais rien de la vie. Je voudrais apprendre, mais la vie ça ne s’étudie pas. Ca se vit. Tu vas en embrasser un autre, me dire « C’est fini entre nous, adieu, ne m’appelle plus ! » et mon cœur va s’effondrer dans un immense bruit silencieux. Je ne sais rien, alors. Juste le léger bourdonnement dans le téléphone qui signale la fin de la communication.

Juste la tristesse immense qui me servira d’habit pour les cinquante prochaines années.

Tu m’embrasses parce que c’est ainsi que vivent les Hommes. De baisers en ruptures, d’amours en chagrins.

Tu m’embrasses et comme bien des premières fois il ne peut y avoir d’oublis, il ne peut y avoir d’adieux.

Commentaires

Articles les plus consultés